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Les représentations des Misérables au Théâtre Mogador, prévues jusqu'en septembre au moins, s'arrêtent le 24 mai. En conclure que "les Français n'aiment pas la comédie musicale", c'est comme dire "les Françaises sont rousses". La première version au Palais des sports a été l'un des plus francs succès de Robert Hossein. La seconde version d'Alain Boublil et Claude Michel Schönberg, dans la mise en scène anglaise de John Caird et Trevor Nunn, a fait le tour du monde, et continue de rapporter beaucoup d'argent, partout sauf à Paris. C'est pourtant à Paris qu'elle a obtenu les meilleures critiques. Et le public, dans sa majorité, s'est montré ravi. Seulement voilà, il s'agit d'un spectacle populaire où l'on va en famille, et les places sont chères : de 175 F à 350 F. "Il y a un grand orchestre dans la fosse, c'est comme l'opéra", disait-on. Mais ce n'est ni la même musique ni le même type de chanteurs. Ni un "évènement" puisque le temps des représentations était indéfini. A Paris, la coutume veut que l'on annonce une "série limitée" prolongée dans le meilleur des cas. La production a suivi une stratégie à l'anglo-saxonne : un gigantesque budget de publicité -8 millions étalés sur plusieurs mois, plus les nécessaires relances, le même budget que celui de Robert Hossein pour Son nom était Jésus, au Palais des sports, dont les représentations ont été prolongées... Et elle n'a pas voulu proposer en début de saison des tarifs réduits pour les collectivités -sans les collectivités, comités d'entreprise, groupes divers, formules d'abonnement, les théâtres seraient plus qu'à moitié vides. A partir du moment où Odette Lumbroso -directrice de Mogador- a pu dégager des prix spéciaux pour les étudiants, il en est venu environ 700 par soir. En fait, Mogador -1 780 places, alors que le Palais des sports en a deux fois plus- a fait une moyenne de 1 300 spectateurs, avec des recettes oscillant entre 265 000 F et 420 000 F. C'est bien, mais ce n'est pas assez pour une production extrêmement coûteuse, avec plus de cent personnes -chanteurs, musiciens, techniciens- sur le plateau. Cameron MacIntosh, qui rêvait depuis longtemps de Paris, de Mogador, n'espérait certainement pas rentrer dans ses frais avant deux ans. Le plus étonnant est la date choisie pour arrêter un spectacle qui aurait pu attirer du public, notamment des touristes, en juin. Mogador, qui n'entrait pas dans la production des Misérables, se trouve dans l'obligation de se mettre en relâche. Ce n'est jamais une bonne opération, et en particulier pour une salle privée. |
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GODARD
COLETTE LE MONDE 25 Mai 1992 |
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